NéO#15: La domestication du cheval, naissance d’une arme d’invasion massive !

le 17/07/2021

Le cheval, ça n’a jamais été mon dada, mais je suis prêt à adhérer à la célèbre formule qui clame que, de Bucéphale à Jolly Jumper, la domestication de cet animal est la plus belle (ou noble) conquête de l’homme, une conquête qui nous en a permis de très nombreuses autres par la suite. Les empereurs, d’Alexandre à Napoléon, ne s’y sont pas trompés. Leurs chevaux fétiches ont largement été associés à leurs victoires, à leurs mythes et à leur toute puissance, tout comme les conquistadors qui, perchés sur leurs montures, impressionnèrent tant les Amérindiens qu’ils les prirent pour des dieux.  L’homme s’est donc appuyé sur le cheval domestiqué pour assouvir ses désirs de conquêtes, le cheval, lui, en a payé un lourd tribut, avec, pour la plupart, une vie de dur labeur et, pour les autres, une vie écourtée sur les champs de bataille.

Le cheval, quand il était encore une espèce sauvage, était répandu dans toute l’Eurasie où il occupait les grands espaces steppiques. C’était un gibier de prédilection pour les chasseurs du Paléolithique, certes il courait vite mais il était beaucoup moins dangereux que les aurochs, les bisons, les rhinocéros laineux ou les mammouths. Chassé pour sa viande, les hommes et les femmes du paléolithique utilisèrent aussi sa peau et son crin pour la confection de vêtements,  ses tendons et ses os pour faire des outils, et ses incisives comme support pour des sculptures et des gravures. Cette dépendance au cheval s’est traduite dans l’art pariétal, c’est l’animal qui fut le plus représenté par les artistes de l’époque, à Lascaux mais plus largement dans la plupart des cavernes d’Europe de l’ouest.

La domestication du cheval, Equus caballus, a représenté un grand bond en avant pour les populations qui avaient réussi à maîtriser cet animal. En plus de permettre le transport de marchandises et d’apporter une aide majeure aux tâches agricoles, ce que faisait déjà les descendants de l’aurochs (chronique#7), elle fut un moteur essentiel des conquêtes militaires pendant presque cinq millénaires. Contrairement à celles des vaches, des chèvres et des moutons,  la domestication du cheval ne s’est pas produite dans le croissant fertile. Les premiers chevaux domestiqués y arrivent sans doute dès le 3ème millénaire av JC sous le nom « d’âne des montagnes » via l’Anatolie, où ils auraient été introduits sans doute à partir des steppes pontiques (chronique#4). Le cheval fut rapidement associé aux dieux et aux rois, il fut l’un des rares animaux à qui l’on donna des sépultures et qui entra dans la mythologie sous la forme de créatures hybrides, du centaure au cheval ailé repris ensuite par la mythologie Grecque. L’âne lui, Equus asinus, fut semble-t-il domestiqué en Afrique de l’est (-6 500 av JC) avant d’arriver au croissant fertile via l’Égypte prédynastique (-4 500 av JC). Lui aussi rendit de grands services à l’humanité, mais il n’atteignit jamais le niveau de prestige de son cousin, il deviendra même, pour tout remerciement, le symbole de la bêtise et de l’entêtement…

On a longtemps cru qu’on devait la domestication du cheval à la culture de Botaï qui s’épanouit au Néolithique final au Kazakhstan (-4 000 av JC). Sur le site qui donna son nom à cette culture furent découverts des dizaines de milliers d’ossements de chevaux qui semble avoir été la seule source de nourriture animale de ce peuple. Les traces archéologiques indiquent que des chevaux étaient parqués dans des enclos et des résidus de lait de jument ont même été retrouvés dans des récipients en céramiques suggérant que les Botaï avaient bien été parmi les premiers à avoir domestiqué le cheval, en tout cas à avoir essayé… Les études génétiques récentes ont cependant montré que les chevaux des Botaï étaient l’ancêtre du cheval de Przewalski qui n’est pas l’ancêtre du cheval domestique actuel. Contrairement à ce qui s’est passé en Mésopotamie pour la vache, le mouton et la chèvre, la domestication du cheval par les Botaï fut donc une voie sans issue.  Pour la petite histoire, le cheval de Przewalski a bien failli disparaître, tout comme l’aurochs, il ne survivait que grâce à quelques couples parqués dans des zoos avant de bénéficier d’un grand plan de retour à la vie sauvage. Aujourd’hui plus de  2000 individus galopent libres dans les steppes de Mongolie, d’autres autour de Tchernobyl, ils représentent donc les derniers chevaux « sauvages » de la planète, si on omet qu’ils furent domestiqués il y a 6 000 ans, en tout cas certains d’entre eux. Un groupe français et leurs collaborateurs viennent tout récemment d’identifier ce jusque-là très mystérieux ancêtre commun à tous les chevaux domestiques actuels. Il aurait été apprivoisé il y a un peu plus de 4 000 ans quelque part dans le nord du Caucase. On ne sait pas à quoi il ressemblait exactement mais il s’est imposé au reste du monde et a donné toutes les variantes que l’on connaît actuellement, du percheron au poney en passant par le pur-sang, par le jeu des croisements et de la sélection.

Les Yamnayas pourraient bien être un des premiers peuples qui se rendirent maître du cheval et de son utilisation comme monture ou comme animal de trait. Ce peuple semi-nomade, caractérisé par ses tombes en fosse (Kourgane), est responsable d’une des plus grandes vagues de conquête de la préhistoire comme l’ont démontré à la fois l’archéologie et, plus récemment, l’étude des génomes anciens (chronique#4). Partant de leurs steppes natales au début de l’âge du bronze, avec leurs chariots, ils envahirent toute l’Europe jusqu’à la péninsule Ibérique. Ils partirent également vers l’est pour atteindre l’ouest de la Chine actuelle, et vers le sud-est pour envahir le nord de l’Inde où ils pourraient même correspondre aux Aryens des écrits Védiques, n’en déplaisent aux nazis qui les voyaient plutôt grands et blonds venant du nord de l’Europe et déferlant sur le reste du continent. Même si certains doutent de leur maitrise du cheval, pour certains elle aurait permis à ce peuple des steppes de conquérir un très vaste territoire en à peu près mille ans. Le cheval permettant à l’homme de se déplacer très rapidement sur de longues distances a donc raccourci l’espace et le temps, ouvrant la porte aux conquêtes guerrières et aux futurs grands empires.

La déferlante conquérante des Yamnayas a eu des conséquences importantes pour les Européens de cette époque et leurs descendants. D’une part, elle a apporté un nouveau flux de gènes dans les populations conquises, les études montrent que le patrimoine génétique des cavaliers des steppes d’Ukraine et de Russie constitue une bonne partie de celui les Européens actuels (20-50%, carte#3). Ce flux de gènes aurait contribué entre autre à éclaircir la peau sombre des descendants d’Anatoliens, un avantage sélectif dans les pays moins ensoleillés que le moyen orient. D’autre part, mis à part les basques, les européens parlent tous des langues dites indo-européennes qui seraient toutes dérivées de celle parlée par ces envahisseurs des steppes, les régions conquises correspondant à la zone de répartition de ces langues.  La possible maitrise du cheval, celle du chariot à roue, et sans doute une bonne dose d’agressivité et de désir de conquête, ont donc permis à ce peuple nomade de conquérir une bonne partie de l’Eurasie. Les Huns et les Mongols avec Attila et Gengis Khan à leurs têtes firent perdurer cette tradition de peuples cavaliers et guerriers venus des steppes de l’est et continuèrent à faire trembler les européens depuis l’empire romain jusqu’au premier millénaire de notre ère.

Après ces plus de 6 000 ans de bons et loyaux services, l’humanité doit beaucoup au cheval, unis pour le meilleur et pour le pire, pour lui comme pour nous. L’invention des machines à vapeur au cours de la révolution industrielle puis celle du moteur à explosion, les ont rapidement remplacés et définitivement libérés des lourdes tâches auxquelles on les astreignait. Cette révolution a mis les chevaux à la retraite, persistant dans nos souvenirs grâce à certaines expressions légèrement désuètes (mettre les pied à l’étrier, monter sur ses grands chevaux, etc…). Cette retraite bien méritée les a conduits vers des activités de loisir ou de prestige pour les plus chanceux ou vers la boucherie pour les autres, finissant, à l’insu de notre plein gré, dans des barquettes de surgelés, symbole de la malbouffe mondialisée.  Le triste sort de notre plus belle conquête devrait nous alerter, nous humains, poussés de plus en plus par les machines et l’intelligence artificielle vers l’obsolescence. Restons vigilant, on achève bien les chevaux…

De gauche à droite: un cheval de Przewalski ‘sauvage’ actuel, un de ses ancêtres représenté sur les parois de Lascaux, Alexandre montant Bucéphale.