NéO#13: Le Néolithique, l’âge de l’argile: des briques, de la vaisselle puis l’écriture.

le 22/05/2021

Le Néolithique, « pierre nouvelle » (-10 000/-5 000), est l’époque archéologique caractérisée par de nouvelles façons de tailler les pierres et surtout de les polir, elle fait suite au Paléolithique. Cette période va durer jusqu’au chalcolithique « cuivre et pierre » (-5 000/-3 000 ; frise #1), époque pendant laquelle la pierre est toujours présente mais où l’utilisation du cuivre se développe, ce qui marquera le début des âges métalliques, avec l’âge du bronze puis l’âge du fer, pour arriver de nos jours à celui des métaux rares et du lithium. Le Néolithique a donc vu les hommes et les femmes de cette période inventer une nouvelle façon d’utiliser les pierres, c’était sans doute la trace archéologique la plus remarquable de cette époque préhistorique lors de leur découverte mais on peut se demander si c’est vraiment ce qui la caractérise le mieux?

Je vous ai déjà parlé de cette période révolutionnaire qui a vu naître dans l’esprit des habitants du Croissant fertile, ces changements radicaux qui vont les conduire à se sédentariser et à apprivoiser la nature. L’appellation Néolithique ne reflète pas vraiment ce changement majeur pour l’avenir de notre espèce, ni pour celui de l’ensemble des espèces vivantes de la planète, elle ne reflète pas non plus l’importance d’un autre matériau, l’argile, dont l’utilisation va grandement participer à modeler ce que nous sommes devenus. La maîtrise de l’argile va en effet jouer un rôle central dans cette région, et ailleurs, car elle sera à la base d’inventions tout autant révolutionnaires que la domestication des plantes et des animaux, et qui marqueront notre quotidien jusqu’à nos jours, beaucoup plus que la pierre polie.

L’argile a d’abord été utilisée pour modeler des petites statuettes d’animaux et des figurines féminines (chronique#14), avant d’être utilisée pour une autre invention majeure: la céramique. L’apparition de la céramique est assez tardive au Proche-Orient. D’abord inventée en Asie bien avant le Néolithique (-20 000/-15 000, Chine et Japon), elle apparaîtra plus tardivement et de façon indépendante dans le Croissant fertile (-7 000) et permettra de définir deux périodes du Néolithique proche-oriental, le Néolithique acéramique (pre-pottery neolithic : PPNA/B : -10 000/-9 000 ; -9 000/-7 000; voir frise #1) pendant lequel les plantes et les animaux seront domestiqués, et le Néolithique céramique (-7 000/-5 000). La céramique est obtenue en faisant cuire l’argile modelée, technique certainement imaginée après s’être rendu compte que des objets en argile crue ou statuettes exposés à de fortes chaleurs (incendie, foyer) durcissaient et pouvaient être exposés à l’eau sans repasser à l’état de boue initiale. La vaisselle en céramique remplaça progressivement celle en pierre taillée des époques précédentes. Ce changement fut une aubaine pour les archéologues pour qui les techniques de fabrication, les formes et les décorations des céramiques devinrent des marqueurs essentiels pour identifier les différentes cultures naissantes, leur essaimage et leur fin. C’est l’étude de la répartition des céramiques des cultures rubanée et cardiale qui a permis de suivre les différentes routes migratoires empruntées par les paysans anatoliens partis à la conquête de l’Europe (chronique #4). Non seulement la céramique fut une invention importante donnant naissance à notre vaisselle quotidienne, mais elle joua aussi un rôle crucial dans la conservation et le transport de la nourriture, et donc dans l’essor des échanges commerciaux à longue distance, jusqu’à l’antiquité. A Rome, l’accumulation sur plusieurs siècles des tessons d’amphores d’huile arrivant d’Espagne a formé l’une de ses collines, le mont Testaccio (30 m de haut).

La maîtrise de l’argile a aussi été à la base d’une autre invention révolutionnaire majeure, la brique. Les premiers villages sédentaires se sont organisés au Levant pendant le Natoufien (-12 000/-10 000), une période précédant le Néolithique proprement dit qui a été déterminante dans ce qui suivra dans la mesure où elle a aussi vu les premiers villageois commencer à utiliser les céréales encore sauvages et inventer les techniques permettant leur récolte, leur traitement et leur stockage (chronique #2). Pour bâtir les murs de leurs maisons, les Natoufiens ont utilisé des mottes de terre (argileuse) mélangée à de la paille issue des céréales qu’ils récoltaient, empilées et séchées au soleil (le torchis). C’est aussi dans cette région du Levant et du nord-ouest de la Syrie que les premières briques d’argile séchées vont être produites (-9000 av JC) ce qui permettra de construire des bâtiments de plus en plus uniformes comme à Çatal Höyük (chronique #7). Il faudra attendre quelques centaines d’années pour passer à deux améliorations majeures que sont le moulage standardisé facilitant la maçonnerie (PPNB/PN), puis la cuisson (-3 000 av JC) qui, comme pour la vaisselle, permettra de fixer ce matériau, de le rendre très résistant et insensible à la pluie même si elle est rare dans cette région. Cette avancée majeure permit le développement des cités-États mésopotamiennes, entre le Tigre et l’Euphrate, pauvres en pierre mais où l’argile est partout, et la construction des bâtiments aussi légendaires que gigantesques, de la mythique Babylone (jardins suspendus, porte d’Ishtar, tour de Babel) et autres ziggourats, temples monumentaux à la gloire des dieux tutélaires de ces cités. Cette invention, une des premières production industrielle, essentielle au développement urbain, restera à la base de l’édification de villes magnifiques tout au long de l’histoire comme la Rome antique, Bologne, Sienne ou de la Ville rose si chère à Nougaro (Ô mon paîs, Ô Toulouse). La brique sera supplantée par le béton, une invention Romaine à base de cendres volcaniques dont on perdit le secret de fabrication, mais qui a finalement été réinventé et a remplacé l’argile pour fabriquer nos briques modernes grisâtres (agglos) et par envahir nos paysages…

Pour terminer, l’utilisation de l’argile joua un rôle inattendu dans  l’histoire, avec un grand H, période qui succède à la préhistoire par l’invention de l’écriture. Les données archéologiques existantes montrent que la plus ancienne écriture identifiée date de Sumer (-3 400), une civilisation répartie sur plusieurs cités-États du sud de la Mésopotamie qui a fait suite aux différentes cultures du Néolithique tardif de cette région. C’est avec l’émergence de ces premiers grands centres urbains et de la centralisation du pouvoir et des richesses par une caste dirigeante, fruit des alliances entre chefs claniques et religieux, que naît le besoin d’enregistrer des traces comptables. Les romantiques auraient sans doute préféré que l’écriture ait été inventée pour écrire des lettres d’amour ou des poèmes mais ce sont bien des actes comptables (stocks de blé, impôts) qui ont été les premiers textes couchés sur argile! Cette première écriture dite cunéiforme sera utilisée dans les échanges officiels par tous les empires du Croissant fertile (Égypte, Assyrie, Babylone, Elam, Hittite, Akkad, etc…) et persistera pendant 3 000 ans avant d’être supplantée par l’Araméen et son alphabet consonantique plus simple que cette écriture syllabique complexe et dépassée avec ses centaines de symboles. Elle ne disparaîtra complètement qu’au début de l’ère chrétienne, moment où l’on en perdit l’usage et la compréhension. L’écriture cunéiforme n’est peut-être pas la première mais c’est la plus ancienne dont des traces archéologiques nous soient parvenues, grâce à leur support; des tablettes d’argile. Les archéologues en ont retrouvé des dizaines de milliers dans les déserts irakiens et syriens, dans les ruines des anciennes cités figées par le climat sec et les mètres de sable, mais aussi dans les vestiges de l’Égypte des pharaons. Par chance, reproduisant la cuisson des céramiques, les incendies qui ont ravagé les anciennes bibliothèques mésopotamiennes ont eu, sur ces tablettes, l’effet contraire de celui destructeur sur le papyrus qui causa la perte des nombreux manuscrits qui étaient conservés dans la bibliothèque d’Alexandrie. Grâce à ces tablettes d’argile, on a pu redécouvrir ces civilisations oubliées et leur contribution majeure à nos sociétés actuelles dans des domaines très différents comme les mathématiques, le découpage du temps en année solaire et l’astronomie, mais aussi nos croyances (astrologie) et religions (épopée de Gilgamesh).

La maîtrise de l’argile au cours du Néolithique a donc joué un rôle central dans plusieurs domaines qui seront transmis et amplifiés dans la culture mésopotamienne post-néolithique. Ce rôle fut tellement important que dans la Genèse décrite dans les textes religieux mésopotamiens, les premiers brouillons d’hommes et de femmes sont créés par les dieux à partir d‘argile rendue malléable par la pluie ou le fleuve fertilisateurs, thème que l’on retrouve dans la création du premier homme dans la Bible hébraïque (Adam, littéralement homme de glaise/terre) et dans le mythe rabbinique du Golem.

De cet héritage du Néolithique il nous reste de belles villes aux teintes rouges et roses, des expressions (« ça ne casse pas des briques ») et notre vaisselle (pensez-y lors de votre prochaine visite chez Ikea). L’épopée de l’argile nous apprend aussi que des civilisations qui ont joué un rôle essentiel dans notre histoire peuvent finir par être complètement oubliées, tout en ayant transmis leur savoir et leur culture aux suivantes grâce à leur écriture (et leur support!). Que restera-t-il de nous? Est-ce que les archéologues des temps post-catastrophe écologique retrouveront nos tablettes de silicium? Arriveront ils à lire leur contenu? Et quelle image cela leur donnera-t-il de nous? Des adorateurs de chats trop mignons et d’un dieu nommé Netflix…

En haut: à droite figurine féminine, céramique de la culture de Halaf (-6 000 av JC), fabrique de briques moulées et séchées au soleil. En bas: reconstitution de la ziggourat d’Ur (64 x 45 m à la base), tablette mésopotamienne (-2 600). Les sources de ces images sont citées dans le texte.